Elle suivit une servante jusqu’à sa chambre, et la laissa s’occuper de ses bagages, avant de la congédier. Puis elle prit son temps pour se préparer. Elle changea de robe, mettant une plus adaptée pour la Cour que sa tenue de voyage, et se coiffa, se maquilla de façon plus adéquate. Tournant devant le miroir, elle se regarda pour s’assurer que tout était en ordre. Si elle restait une femme simple, elle savait se montrer appliquée sur sa tenue, coquette quand il fallait. Ses tenues étaient splendides, faites de meilleures étoffes de sa baronnie, et elles habillaient la baronne avec élégance, et la rendaient d’autant plus charismatique.
Une fois rafraîchie et désormais prête, elle sortit et prit la direction des appartement de la Reine. Sur le chemin, on la reconnaissait et on la saluait respectueusement, et Shara renvoyait les saluts, d’un air tranquille. Habituée des lieux et des entrevues avec la famille royale, la baronne semblait ici chez elle, et les gens réagissaient en conséquence.
Obtenir audience avec la reine de Balaïa n’était pas aisé mais Shara n’avait pas ce problème. Son rang lui ouvrait toutes les portes. Ou presque sans doute. Entrer à Korina était un privilège qu’elle avait possédé toute son existence, et elle s’y promenait sans le moindre doute. Elle y avait vécu durant ses jeunes années, après avoir quitté Erskan, lorsqu’on lui avait enfin permis de s’éloigner de sa ville. Et quelles années cela avait été! Elles avaient rencontré une Shara délurée, avide de fêtes, et définitivement peu farouche, prête à profiter de chaque instant. Elle s’y était amusée comme jamais. S’était aventurée dans des sentiers nouveaux, au goût exquis des plaisirs...de tous les plaisirs, et celui de la chair en particulier.  
Quand elle se promenait dans les jardins du palais, elle pouvait voir l’endroit, où elle avait embrassé pour la toute première fois Rowan. A l’abri des regards, ils s’étaient enlacés, et la nuit avait été témoin de leur passion. Et les nuits s’étaient répétées. Dans ses bras, elle avait appris à découvrir l’amour, celui des corps qui se frôlaient, le tout sous couvert d’un interdit. Combien de fois son frère n’avait-il pas repoussé les hommes qui s’approchaient trop d’elle? Elle avait vécu écartée de tout cela. Elle avait connu des émois mais cela était resté à ce simple état. Alors quand elle repensait à ses nuits avec Rowan, elle s’en rappelait avec amusement, et une pointe de coquinerie. Des délices offerts sur un plateau à une jeune femme qui ne demandait que cela. Aujourd’hui la jeune femme qui se jouait des règles avait laissé place à une femme plus posée, mais jamais cette partie d’elle, taquine, indépendante et rebelle, ne l’avait quittée.
Aujourd’hui, l’heure n’était pas aux fêtes mais aux sujets plus importants. La Reine Elise venait de terminer quelques mois à peine de règne, et il était temps pour Shara de s’assurer que tout allait pour elle. Qu’elle gardait la tête hors de l’eau, avec toutes les responsabilités qui lui revenaient, alors qu’elle était encore tellement jeune. Au delà des liens purement officiels, il y avait dans cette demoiselle quelque chose qui plaisait à la baronne. Décidant de la prendre sous son aile, la dame de Gresse se plaisait à la conseiller. Rowena en était d’ailleurs très satisfaite. Les deux se connaissaient depuis longtemps, devenant proches au fil du temps, et Rowena avait vu d’un très bon œil que Shara se rapproche de la Reine. Avec tous les détracteurs qui voulaient voir tomber Elise, la difficulté de mettre tout le monde d’accord, les divergences d’opinion, et les diverses menaces,  la reine avait besoin d’avoir des gens sur qui compter.
C’était plus qu’une simple relation mentor et élève, c’était aussi une alliance. Shara n’était pas dupe, pas plus qu’une âme charitable. Elle ne comptait pas tenir la main à la Reine pour le reste des temps, mais l’aider à la rendre indépendante. Elle avait besoin de la Reine, comme celle-ci avait besoin de la baronne. Alors maintenir les bonnes relations entre leurs fiefs était important, pour ne pas dire indispensable, ainsi que créer de nouvelles opportunités.
Ayant quitté la baronnie Morghun quelques jours plus tôt, Shara avait désormais l’occasion de se trouver en tête en tête avec la Reine, chose qui n’était pas arrivé depuis la cérémonie du couronnement. Elles s’étaient néanmoins envoyées des lettres. Shara y avait pris soin de bien détailler chacune de ses idées, de ses envies, et sa façon de penser. Elle l’avait rassurée aussi sur ses intentions. Les Morghun ne laisseraient pas tomber la Couronne. Son mari l’avait servi en étant Cavalier. Désormais les barons mettaient sa baronnie et ses richesses à son service.
Tranquillement, alors que ses pensées étaient tournées vers la Reine, la baronne remontait le couloir principal, orné de tableaux, de peintures et de statues. Elle atteignit l’entrée, devant laquelle se trouvait un garde. Celui-ci lui ouvrit la porte et referma derrière elle.
La Reine était dans son salon privé. Elle lui tournait le dos mais lui fit face quand Shara entra. Celle-ci la salua dans une gracieuse révérence et s’approcha d’elle, le sourire aux lèvres.
« Votre grâce quel bonheur de vous revoir. »
Elle s’immobilisa face à elle.
« Je vous retrouve chaque fois plus belle. »
Ce n’était pas un compliment lancé juste pour flatter la Reine. Ou du moins cela ne l’était pas dans le but de renforcer sa prise sur Elise à coups de stupides courbesses. La baronne ne s’abaissait pas à cela, c’était une façon de faire qui n’était pas son style, et ce qu’elle venait dde dire, elle le pensait vraiment. Elise était radieuse comme l’était Serena. Mais la beauté ne faisait pas tout, et ce fut sans doute pourquoi le compliment fut expédié de façon détachée.
« ...et très occupée à ce que j’ai entendu. »
Son ton était rempli de malice mais aussi d’euphorie et d’enthousiasme. Il était grandement temps de passer à l’action. De se pencher sur chaque problème du royaume et de construire le règne d’Elise qui ne demandait qu’à se dessiner. Une intéressante discussion les attendait.

Une mine réjouie se dessina sur son visage alors qu’elle prenait place sur le fauteuil. Face à elle, il y avait de quoi faire un agréable repas. Des pâtisseries exquises, qui rendaient leur entrevue un moment entre amies dans un cadre relaxant, plutôt qu’une réunion officielle dans un atmosphère lourde. Shara appréciait ce cadre bien plus accueillant. Elles étaient seules toutes les deux, sans personne pour les déranger, et elles ne devaient pas se conformer à l’étiquette. Elise était la reine, et cela demandait un respect des règles, auquel Shara se conformait sans trop de soucis, mais cela devenait plus souple, et les quelques entorses au protocole n’étaient pas considérées comme importantes.
Elle avait vu le visage fatigué d’Elise, les traits de la jeune femme sans doute épuisés par la fatigue, les responsabilités nouvelles de régente. Shara se rappelait de cette époque, lorsqu’elle avait débuté comme baronne. Entre ceux qui étaient contre elle, tous les problèmes à régler, une baronnie sous sa tutelle, inutile de dire que tout n’avait pas été de tout repos. C’était dur mais c’était une étape par laquelle il était obligatoire de passer. L’habitude viendrait avec le temps. La force viendrait elle aussi.
Avant les discussions sérieuses vint celle plus légère, celle moins professionnelle, où la reine lui demandait des nouvelles de sa famille, et lui parlait de sa fille. Une aventure dans les salles dissimulés du palais fleurissait à la mémoire de la jeune femme. Une escapade royale qui n’avait pas manqué d’être racontée à la baronne, qui eut un petit sourire amusé, et hocha la tête.
« Ils vont très bien et mon mari vous présente ses respects. Quant à ma fille effectivement j’ai entendu parler d’une petite aventure. Je n’ai pas eu tous les détails mais j’ai eu l’occasion de lire ses exploits dans une lettre qu’elle nous a envoyé. »
Elle riait tranquillement en se rappelant du récit fait par Serena et loin d’être offensée par le comportement de sa progéniture, en tirait une fierté, celle de voir que sa fille avait de la curiosité.
« Ca ne m’étonne pas d’elle, elle a l’art et la manière de se mettre dans des situations impossibles. »
Et d’une main, elle attrapa des tasses, et entreprit de servir le thé pour elle et pour la reine.
« Elle tient cela de son père. »
Elle avait rajouté cela d’un ton faussement exaspéré, parce que de toute évidence, Rowan n’était pas le seul mordu de l’aventure. Shara elle-même en était friande. Et les deux avaient veillé à ce que leur fille soit comme eux, de ceux qui ne reculaient pas devant l’inconnu, qui osaient tout faire.
« En plus elle ne m’a pas tout dit. Alors racontez-moi tout. Avez-vous percé à jour le secret de Rognar ? »
Une fois les secrets de l’aventure dévoilés, Shara enchainait déjà.
« Et votre mère comment va-t-elle ? Je passerai lui faire une visite dès ce soir, j’espère que nous pourrons dîner ensemble, cela fait un moment que je ne l’ai pas vue. »
Les Morghun étaient proches des Hyld, depuis bien longtemps, et Shara s’était toujours appliquée à maintenir leurs relations sous les meilleures auspices. Pour eux le couronnement d’Elise ne changeait rien, excepté peut-être le rôle de Shara. La nouvelle reine sans doute ne serait pas sourde à ses envies de modernité. Ses idées de femme indépendante, Shara les appliquait déjà à sa propre baronnie, mais voyait plus loin.
Elle tendit sa tasse à Elise et attrapa une pâtisserie, dans laquelle elle mordit avec vivacité.
« Mmmm un délice. »
Les pâtisseries du château valaient réellement le coup, une excuse en plus pour venir de plus en plus souvent, et c’était une baronne gourmande qui s’en régalait grandement.
« Mais entrons dans le vif du sujet. Je sais que ces derniers mois n’ont pas été de tout repos et que vos épaules doivent supporter un large poids, bien plus que ce que à quoi vous êtes habituée. Entre ours mal léchés et loups prêts à se jeter sur n’importe quoi, il y a de quoi devenir folle. Dites-moi alors, comment vous sentez-vous ? »