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«
Aller, Kel'Eldryon. Dis au revoir à ton père ! Au revoiiir, papa ! Aller ! Au revoir, papa ! »
Une jeune femme tenait un bébé dans ses bras, vêtue d'une légère robe de lin et les cheveux négligemment attachés d'un simple ruban usé. Elle agitait joyeusement sa main vers l'horizon de la mer tandis que le bébé gazouillait ses premiers mots. Le navire s'éloignait vers l'aurore pendant que des femmes et des enfants secouaient fort leur bras pour un dernier adieux à leurs hommes.
Le capitaine Tharan était un homme respecté et respectable. Fier, distingué par de nombreux hauts-faits militaires et grand défenseur de l'Ordre des Inquisiteurs, Tharan était le cadet d'une lignée de petite noblesse touchée par la ruine. Déchu de tout héritage, son destin fut toujours divisé entre la voie ecclésiastique et militaire. Cependant, si la retenue monacale qu'il avait sut faire preuve tout au long de sa vie l'avait élevé au rang révéré de capitaine, l'amour était un sentiment que même les vertus de son culte n'ont sut taire.
Un jour, de retour des lointaines contrées elfiques, on le vit revenir avec ce bout de chaire enveloppé d'une étoffe elfique, à peine assez grand pour supporter un voyage en mer, entre les bras. Kel'Eldryon était né d'une romance passionnée mais passagère que la pudeur se doit de dissimuler. La jeune mère, humiliée de tant d'inconvenances, avait réclamé de Tharan de prendre l'enfant avec lui. De repartir sur le champs et de ne plus jamais entrer dans sa vie. Cet humain avait séduit en elle des vices qu'elle aurait dû chasser de son cœur. Kel'Eldryon était la preuve d'une erreur manifeste. Elle l'aimât dès sa naissance mais dû se résoudre à abandonner ses passions maternelles pour satisfaire la bienséance.
Pour Tharan, l'institution du mariage était assez sacré pour s'économiser un baptême qui serait vu comme un parjure par la paroisse locale. Cependant, abandonner l'enfant à son sort aurait été pour lui un grave infanticide. Comment pourrait-il justifier sa lâcheté, au jour du Jugement Dernier, face à Dieu ? La mort dans l'âme d'avoir été chassé de son affection pour sa maîtresse, il se plia à ses devoirs paternels.
Kel'Eldryon connu ses premières années de vie auprès d'une jeune nourrice. Rose était une jeune mère dont les légèretés frivoles avaient rendu tout espoir matrimonial impossible. Son père, un vieux pêcheur de Jaden, l'avait exclu du foyer lorsqu'elle mis au monde son premier fils. Fou de rage, humilié, il refusa de reconnaître l'enfant et fut le premier à surnommer sa fille « La Putain du Port ». Rose qui traînait avec elle le lourd fardeau de ses erreurs, décida de chercher un emploi de nourrice dans la région, convaincue que Dieu, dans sa miséricorde, lui accorderait le salut de son âme à travers l'usage de ses pouvoirs maternels. Et sans doute eut-elle raison. Lorsque Thalan entendit parler de cette jeune repentie, il accepta de la prendre à son service. Reconnu en elle son erreur de jeunesse et l'hébergea chez lui, espérant trouver quelque rédemption dans cette providentielle rencontre. Sans doute le destin avait croisé leur chemin pour d'excellentes raisons.
Rose était alors devenue une seconde mère pour Kel'Eldryon. Armand, son fils, un nouveau frère. Thalan s'assura de leurs besoins et de leur protection. Il retrouva son honneur auprès des siens lorsque ses proches entendirent parler de la bonté dont il avait fait preuve pour cette jeune femme. Quelques mois après, le père de Rose revint vers elle, tout disposé à lui pardonner, convaincu que sa fille avait réussi à se faire épouser d'un noble capitaine. Thalan lui offrit un peu d'argent pour que jamais il ne revienne perturber ce foyer d'éclopés et de bâtards qu'il avait fondé. Un foyer où il désirait bénie de la lumière de Dieu.
***
«
Pourquoi, si Dieu est si bon et si parfait, a-t-il permis le mal et la souffrance ? »
Kel'Eldryon se présenta très tôt comme un enfant plein d'esprit et de curiosité. Mais d'une sensibilité parfois trop frêle. C'était un enfant timide et discret qui écoutait sagement alors qu'Armand, le fils de Rose, aimait à jouer avec les autres enfants du port. Ils étaient le jour et la nuit et Armand aimait moquer la fragilité de son frère de laie.
Kel'Eldryon pleurait beaucoup et n'aimait pas sortir jouer. Il regardait en l'air, la tête dans les étoiles et posait de drôles de questions. Il se demandait pourquoi le ciel était bleu et pourquoi la lune brillait. Parfois, il allait aux écuries, la nuit tombée. Il grimpait au toit et observait longtemps la voûte nocturne, avec un morceau de charbon et une planche de bois. Kel'Eldryon dessinait de drôles de schémas et les montrait à Rose en assurant qu'il s'agissait du mouvement des étoiles. Son père se moquait souvent de lui et parfois, tentait de lui expliquer les choses de la religion. Que la curiosité était un vice et que les hommes ne devaient pas chercher les subtils rouages du cosmos sous peine d'effleurer la colère de Dieu. Que ses interrogations étaient un grave péché d'orgueil. Il se demandait comment pousser son fils à faire autre chose de ses dix doigts que de ridicules dessins. Tharan se demandait parfois si Kel'Eldryon était bien de lui, lorsqu'il l'observait et portait la tragédie de ne pouvoir offrir son fils à l'armée royale ou à l'Ordre. Car au-delà de sa faible constitution (l'enfant ne tombait jamais malade à contrario d'Armand mais n'avait pas plus de force et d’endurance qu'un pet de mouche) Kel'Eldryon posait ses questions même aux prêtre locaux qui tentaient d'y répondre par de subtiles stratagèmes irréfutables, des arguments sans fond pour lui enseigner le bien-fondé de la religion. Du sophisme qui ne satisfit jamais les curiosités toujours plus grandes du garçon. Très vite, les Inquisiteurs montrèrent quelques réticences face à cet enfant. Le disait-on maudit et les prêtres aimaient montrer leurs répugnances vis à vis de ses questionnements innocemment blasphématoires. Maintes fois, Rose dû prévenir Tharan, à ses retours : Elle ne put s'opposer face aux Inquisiteurs quand ces derniers l'enlevèrent pour tenter de lui enseigner la religion. Tharan arrivait à la paroisse et voyait, pris à part avec un Inquisiteur penché sur lui, le visage de son fils fermé aux enseignements sacrés et aux prêches, tout doigt tendu. La question de la religion revint plusieurs fois, à table. Tharan n'acceptait pas l'intrusion des Inquisiteurs au sein de son éducation. Mais Kel'Eldryon commençait dangereusement à porter son intérêt vers la magie. Ce furent les premières véritables disputes entre père et fils. Puis entre frères, lorsqu'Armand tenta, quand Kel'Eldryon était puni dans sa chambre après un revers bien ressenti, de convaincre son frère adoptif d'abandonner sa quête de connaissance. Vainement. Kel'Eldryon avait un besoin désespéré de réponse et l'ignorance de son entourage était incapable d'assouvir ses besoins intellectuels et créatifs.
«
Quel est vôtre nom, étranger ? » Demanda Rose en déposant les plats sur la table.
Un homme était arrivé dans la soirée, tard, bien après que le soleil fusse couché. Une heure de criminel. Tout vêtu d'une longue bure grossière de laine, l'homme avait demandé l'asile au maître des lieux, à l'heure où les enfants mangeaient.
Thalan eut beaucoup de réticences à laisser cet étranger entrer au sein de son foyer. Son allure et ses attitudes tranquilles lui inspiraient quelque chose de sombre et de menaçant. Quelque chose de magique. Il avait toisé cet homme d'un drôle de regard et Rose avait insisté auprès de son maître pour le laisser entrer. Elle invoqua les devoirs d'hospitalité pour les voyageurs fatigués. Joua la corde de la miséricorde et du partage et Thalan accepta, un petit peu à contre cœur, parfaitement sceptique. Les enfants étaient déjà passés à table et observaient d'un œil curieux cet homme qui mangeait dans leur salon. Thalan le fixait sévèrement tandis que Rose tentait d'ouvrir la moindres conversation.
«
Radaman, madame.
- Un prénom de mage, rétorqua brusquement Thalan avec une méfiance qu'il ne fardait même pas.
-
Un prénom comme il en existe tant, monsieur. Je ne suis qu'un pèlerin. Ma présence ne vous importunera pas. »
L'étranger était un homme fin et droit. Fait d'angles et de raideurs. Son visage découpé à la serpe lui donnait une expression sévère et ses yeux bleus étaient semblables à ceux d'un aigle. Radaman mangeait silencieusement et avec un profond respect pour ses hôtes. Rose le trouvait charmant et courtois. Il avait de longs doigts filandreux qui attrapaient les choses prudemment, délicatement. Elle trouvait ses mains belles et son visage avait une aura rassurante.
Rose sentait la méfiance de son maître à l'égard de leur invité. Il lui parlait avec sévérité et comptait les haricots que leur invité mettait dans sa bouche, comme si l'étranger était en train de dévorer goulûment son argent. Rose regrettait d'avoir tant insisté pour aider cet homme et elle ne pouvait endormir ses appréhensions. Alors elle tenta de discuter plusieurs fois sans que jamais la glace ne fut brisée. L’électricité crépitait dans l'air et Rose jugea bon de vite coucher Armand, peut-être trop curieux de cet homme qui semblait éveiller de drôles de suspicions chez leur père. Quand il fut couché, Armand demanda : "C'est un mage, mère ?" Rose se contenta de lui embrasser tendrement le front et de souffler sur le feu de leur petite lampe. Rose était tout aussi soupçonneuse. Mais l'idée faisait battre en elle un grondement d'interdit et d'excitation.
«
D'où venez-vous ?
- D'un peu partout.
- C'est vague.
- Certes.
- Et où allez-vous ?
- Là où les vents me porteront.
- Vous êtes un marginal ?
- Un pèlerin.
- J'ose espérer que vous savez que le Culte des Douze n'est pas le bienvenue chez moi.
- Soyez rassuré, j’honore le bon Dieu.
- Bien. Quel âge avez-vous ?
- Un âge respectable, monsieur.
- C'est-à-dire ?
- Plus ou moins cinquante ans.
- Je vois. Et quand repartirez-vous ?
- Demain, à l'aube, si les conditions me le permet.
- Messire, vous reprendrez un peu de gigot ? Interrogea Rose de peur que la conversation ne s'achève en grands éclats de colère.
-
Non, merci, madame. Vous êtes bien aimable. »
Thalan avait rencontré beaucoup de mages au cours de son existence et savait les reconnaître. Ses campagnes aux frontières maritimes de Calaïus avait provoqué tant de conflits d'intérêts avec les mages elfiques que le vieux capitaine était capable de les sentir au nez. Il s'agissait pour lui de ses ennemis les plus rudes. D'adversaires qu'il traquerait sans la moindre pitié, jusqu'au tréfonds des Hadès.
Mais ce jour-là, lorsque l'aube se leva sur Jaden et que Rose constata que leur hôte était parti, Thalan décida de laisser tomber. Qu'importe l'identité de ce Radaman. Valait-il mieux épargner un criminel plutôt que d’exécuter un innocent.
Puis un hurlement. Rose paniqua. Dévala les petits escaliers qui séparaient la chambre de Kel'Eldryon avec le petit salon. Elle cria, s'époumona. Appela le garçon partout dans la maison. Mais seul la mine déconfite d'Armand répondit à son appel.
«
Il est parti avec l'étranger... Je croyais qu'ils allaient revenir... Je les ai vu, hier... »
Alors, Thalan comprit. Il comprit que les mages lui avaient pris son fils. Qu'ils avaient envoyés l'un de leurs chasseurs de tête pour se venger de tous ces mages qu'il avait fait exécuter pour le bien public. Les Cités Collégiales. Diable et Enfer.
Thalan organisa une immense battue. Des avis de recherches furent placardées sur toutes les tavernes de la ville. Et bientôt, du pays. Le fils du Capitaine Thalan avait été enlevé par un mage. Bientôt, l'affaire fut rendue publique mais personne ne retrouva son fils adoré. Kel'Eldryon s'était évanoui dans la nature pour ne jamais revenir.
***
Un vent d'été, chaud et léger, était tombé sur la cité de Julatsa. Les grands monuments de verre reflétaient un soleil éclatant en mille couleurs irisés. Les lys avaient éclos très tôt, cette année. Un règne de paix s'était abattu sur le royaume et les Cités Collégiales vantaient dans tout Balaïa les mérites de la magie. Kel'Eldryon observait les jeunes novices qui jouaient avec une balle enchantée. Elle faisait ses cercles lumineux dans le ciel et se laissait manipuler par la magie des enfants. Son parcours faisait des balancements maladroits que Kel'Eldryon regardait d'un œil attentif.
Kel'Eldryon était encore un jeune apprenti mais on louait volontiers ses mérites. Travailleur et discipliné, c'était un garçon sur lequel les rumeurs glissaient sans le soupçonner. Sa discrétion en avait fait un garçon apprécié mais néanmoins peu populaire. Loin des vanités sociales qui se jouaient entre les apprentis de sa promotion, son intérêt se portait plus volontiers sur les mystères sur lesquels personne ne se penchait. Par simple esprit de contradiction ou parce que Moc'ias avait béni cet enfant d'une vive curiosité. Kel'Eldryon ne faisait jamais rien comme les autres. Il n'allait pas taquiner les fermiers aux bordures extérieures. Il n'allait pas aux beuveries de la ville-basse où ses camarades s'enorgueillissaient de grandioses destinées. Kel'Eldryon n'avait guère beaucoup d'ambitions. Lorsqu'on lui demandait quel était l'avenir qu'il souhaitait se forger, il répondait humblement que tant que l'étude de la magie accompagnerait chacune de ses vies, il serait le plus comblé des hommes. L'idée de gloire ou de richesse n'avait jamais effleuré ses fantasmes. Les femmes et les plaisirs matériels semblaient le laisser parfaitement indifférent. Il était un élève attentif et doué bien que quelques uns de ses maîtres se courroucèrent de sa vilaine tendance à intervenir toujours inopinément durant les classes. Interrompant les longues et magistrales tirades des plus orgueilleux de ses enseignants pour leur faire remarquer leurs erreurs et les incohérences des arcanes qu'ils souhaitaient lui enseigner. Beaucoup lui trouvèrent une irritable habitude de contredire et de chercher la perfection dans ses études.
Kel'Eldryon ne trouva son intérêt dans aucune des spécialisations les plus courantes de Julatsa. Son esprit ouvert au monde et à toutes ses possibilités, il lui sembla impossible d'étriquer sa connaissance pour une bête orientation. Incapable de faire un choix, Kel'Eldryon mis en pause sa formation pour prendre le temps de réfléchir. Une année sabbatique où il aurait le loisir de se découvrir après une vie entière à s'oublier au nom du savoir. Il avait besoin de se trouver. Alors, son tuteur, le mage qui l'eut recueilli, cette nuit où il était encore trop jeune pour parfaitement comprendre les véritables tenants de cet enlèvement, décida de le prendre en tant qu'élève et apprenti. Kel'Eldryon avait besoin d'être guidé.
Aux premiers mois de cette nouvelle année, le jeune apprenti passa le plus clair de son temps entre les livres de l'immense bibliothèque de Radaman. Entouré de livres poussiéreux, de parchemins obscurs et d'artefact hermétiques. Kel'Eldryon ne comprit pas immédiatement la signification de sa nouvelle liberté.
Kel'Eldryon ne comprit jamais vraiment que le choix d'être mage, il ne l'eut jamais. Assuré d'avoir pris son destin en main, cette nuit-là, il se convaincu que son salut se trouverait dans les anciens écrits. Capable de lire des langues oubliées, de sortilèges inaccessibles pour des mages assermentés, de réciter d'antiques savoirs oubliés, Kel'Eldryon n'eut guère beaucoup de temps pour se pencher sur sa propre vie. Sur ses choix et ses désirs profonds. Son avenir.
Alors, Radaman décida de lui interdire l'étude. Son élève n'évoluerait jamais sans être confronté à la réalité. Au moins un peu. Il fallait que Kel'Eldryon découvre des paysages de ses propres yeux et non pas sur des peintures illustrées. Qu'il rencontre des personnes qui ne partageaient pas sa vie ni son quotidien. Qu'il connaisse la douleur d'un au revoir et la beauté d'une rencontre nouvelle. Que Kel'Eldryon cesse de ne vivre qu'à travers de vieilles pages jaunes noircies de runes microscopiques et de schémas ensorcelés.
Alors, maître et apprenti prirent leurs chevaux. Ils rassemblèrent leurs affaires et Radaman entreprit un voyage à travers les quatre Cités Collégiales. Un périple au cours duquel Kel'Eldryon connu de nombreuses premières fois. Sa rencontre avec la faune sauvage. S'arrêter sur chaque herbe qu'il n'avait vu que dans ses livres et dont il agrémentait chaque découverte d'un commentaire sur leurs différentes vertus comme si Radaman les ignorait. Ils s'arrêtèrent dans chaque village et chaque ferme. Radaman avait bon cœur et aimait souvent faire halte dans leur odyssée pour venir en aide à ceux qui en avaient besoin. Si Kel'Eldryon suivait docilement, au commencement, il se mis petit à petit à prendre ses initiatives. A s'habituer au monde. A se montrer moins craintifs des terrains inconnus. Sa méfiance face au mystère ne resta pas victorieuse longtemps de son incommensurable curiosité. Kel'Eldryon but une première fois de l'alcool. De l'hydromel. Curiosité scientifique qu'il ne renouvellera pas. Puis son maître lui apprit à fumer des herbes qu'il disait médicinales et dont la fumée d'un bleu électrique dansait en formant des oiseaux à l'envol avant de disparaître en volutes graciles. Et quand Radaman voyait les regards intrigués de son élève sur les jeunes femmes des villages qu'il visitait, il l'invita vite à acheter les services libertins des prostituées qu'ils rencontraient. Kel'Eldryon dû alors apprendre que certaines choses, aussi tabou soient-elles, ne le sont que pour les autres. Le petit apprenti mage s'habitua du contact vénal de ces femmes qu'il apprit à apprécier. Il garda longtemps contacts avec certaines d'entre elles avec qui il s'était noué d'une étrange amitié. Puis elles l'oublièrent vite. Kel'Eldryon se lia d'amitié avec des compagnons de voyage rencontrés en chemin. Connu ses premières déboires mais également ses premières véritables leçons de vie. Que le monde profitera des bienheureux incapables de discerner les viles intentions.
Évidemment, son voyage croisa la route de ses premiers effrois. Des premiers combats qu'un mage se doit de surmonter. Néanmoins, jamais ne fut-il capable de blesser ou de tuer. Interdit à l'idée de prendre la vie et si les accidents arrivèrent, son maître lui enseigna l'art d'éviter le combat et de la fuite. En chemin, ils rencontrèrent bandits, pacificateurs, créatures maléfiques, mages noirs et esprits facétieux. Kel'Eldryon sut alors comment distinguer les dangers à fuir de ceux qu'il était possible d'affronter. Puis quand l'hiver retomba brutalement sur le pays, que la nourriture manqua et que le voyage fut plus difficile, Kel'Eldryon connu pour la première fois la faim, le froid et la misère. Les nuits où le toit manquait, les jours où un morceau de pain serait son meilleur repas et où le luxe d'un bain n'était plus possible.
Kel'Eldryon avait grandit. Il avait mûrit et savait désormais le prix du confort et celui de la connaissance. Il avait apprit que sa vie était importante et que celle des autres l'était encore plus. Il connu la douleur du corps et du cœur et s'était forgé un caractère qui saurait se défendre des contre-courants de la vie. Il avait alors beaucoup réfléchit. Il lui manquait quelque chose pour pouvoir avancer. Pour se projeter. Pour dessiner son avenir. Il avait besoin de renouer avec son passé.
Radaman dû alors s'expliquer. De son crime et de comment il avait bouleversé le destin d'une famille entière pour satisfaire les cités collégiales. Pour la première fois, Kel'Eldryon accepta de porter sur les Cités Collégiales un esprit critique. Pour la première fois, Kel'Eldryon s'opposa à son maître avec une virulence que Radaman ne lui connaissait pas. Ils se disputèrent longtemps et fort. Puis le vieux mage trancha. Sec. Si Kel'Eldryon regrettait tant sa famille, alors il n'avait qu'à retourner auprès d'elle. A présent qu'il maîtrisait son Don, Kel'Eldryon était libre de ses actes. Et Kel'Eldryon jugea que c'était le mieux. Que si Moc'ias n'avait pas mis sur sa route l'évidence de son orientation, c'était que sa vie de mage devait s'achever ici. Que c'est auprès de sa famille qu'il apprendrait d'avantage. Radaman ne l'accompagna qu'à la sortie de Jaden. Sa réputation d'il y a quelques années n'était pas encore tout à fait endormie.
Kel'Eldryon entra dans la ville, le cœur battant. Il approcha de cette vieille maison qui lui avait parut immense, dans sa jeunesse. Il hésita longtemps avant de frapper à la porte. Et on mit tout aussi longtemps pour lui ouvrir. Une dame d'un âge respectable et dont les longs cheveux clairsemés de fils d'argents ondulaient humblement sur son épaule. Elle était belle mais le regard voilé de tristesse.
«
Je peux vous aider, jeune homme ? »
Cette voix, même éraillée de malheur, il la reconnaissait entre mille. Mais il fut incapable de parler. La bouche haletante comme un poisson et le regard paniqué. La dame sembla le reconnaître. Son visage se décomposa mais elle ne dit rien. Se contenta d'ouvrir la porte.
«
Entrez, monsieur... » Sans un mot, Kel'Eldryon obéit. «
Je peux vous offrir à boire ? » Elle le regardait d'un drôle d'air, suspecte et méfiante.
Kel'Eldryon secoua la tête, la voix toujours coupée d'une drôle d'émotion. Elle trembla, fébrile, quand il osa la lever.
«
Rose... Puis-je. Puis-je voir mon père ? »
Les yeux de Rose s'arrondirent. Un souffle d'émotion s'échappa de ses lèvres et elle porta la main à sa bouche. Son regard rougit de larmes. Celui de Kel'Eldryon l'imita. Il lui semblait qu'un poids appuyait contre sa poitrine et l'empêchait de respirer.
«
Ton père. Il est... » Sa voix se brisa et elle inspira fort pour reprendre son calme digne. «
Il est gravement malade et vieillissant. S'il te revoit... On mon Dieu... » Elle leva les yeux et se tourna, incapable de garder pour elle son émotion, dans une pudeur touchante.
Kel'Eldryon insista.
«
J'ai besoin de le revoir... Je t'en supplie... » Illui prit sa main et elle le repoussa. Rose le regarda longuement. Des larmes roulaient lentement sur ses joues. Elle acquiesça et le mena jusqu'à l'étage où son père l'attendait, alité dans une chambre sombre et où sentait une horrible odeur d'humidité.
«
MEURTRIER ! PARRICIDE ! »
Les hurlements de Rose dans la maison éclatèrent dans le silence de la nuit. Elle jurait qu'Armand aurait sa peau ! Que Dieu le suivrait jusqu'aux confins des Enfers. Qu'il avait tué cette famille. Qu'il avait tout détruit. Égoïste engeance infernale. Kel'Eldryon s'enfuyait. Loin de chez lui. Loin de sa famille. Loin de son passé.
Ils avaient discuté des heures, quand Kel'Eldryon était entré dans la petite pièce. Son père respirait fort et difficilement. Son regard était voilé. La maladie lui avait volé ses yeux. Mais lorsqu'il entendit la voix muée de son propre fils, son visage se crispa d'une douleur libérée. Une émotion si forte qu'elle en firent trembler son cœur.
«
Tu es revenu... Tu es revenu, mon fils. Je savais que Dieu guiderait tes pas et nous réunirait. Il a exaucé mon souhait le plus cher. Un miracle... C'est un miracle, mon fils... »
Il lui prit alors les mains à tâtons et lui demanda de prier. Alors Kel'Eldryon fit semblant de prier, incapable d'expliquer à son père que toutes ces bondieuseries, il n'y croyait pas. Qu'il n'y avait jamais crut.
Ils discutèrent longuement. Ils parlèrent d'Armand qui était devenu une fierté chez les Pacificateurs. Un brave garçon, pieu et fort. De Rose avec qui il s'était finalement marié et qui s'occupait tendrement de ses soins. Il lui parla alors de l'héritage que Kel'Eldryon aurait bientôt à jouir, maintenant qu'il était revenu. Mais Kel'Eldryon chassa toutes ces opportunités de fortunes impostures en parlant alors du jour de son enlèvement.
Kel'Eldryon raconta. Son père était attentif. Silencieux, pour une fois. Le garçon parla de cette nuit où il accepta de suivre Maître Radaman. Du Don que Dieu lui avait donné. De la Cité Collégiale où il fut recueilli. Des longues études qui le passionnèrent et de la voie qu'il s'était trouvé. La magie n'est pas mauvaise. Elle ne contredit pas les enseignements sacrés. Kel'Eldryon supplia son père qu'il l'accepte. Qu'il ne le repousse pas pour ce qu'il était. Qu'il était son fils avant tout.
Thalan resta silencieux, le visage fermé. Puis, sa main tremblante se posa sur son épaule. Sa voix s'éleva, d'une bienveillance profonde et sage.
«
Mon fils. Tes ravisseurs ont rempli ta tête de blasphèmes et d'hérésies... Ils ont fait miroiter sous tes yeux d'enfant des démons qui se sont fait passer pour des miracles. Tu ne pouvais pas savoir et je te pardonne. Mais maintenant que tu t'es enfuis et que tu es revenu vers ta famille, vers le bon chemin, tu dois expier tes fautes. Dieu est Miséricorde. Il te pardonnera si tu acceptes de te pardonner. »
Kel'Eldryon resta silencieux quelques seconde et murmura quelque chose que son père ne comprit pas.
«
Tu dois abandonner la magie et l'étude des toutes ces... Choses... Nous t'aiderons. Nous te soutiendrons. Tu es encore jeune et tout espoir de rédemption n'est pas perdu. »
Kel'Eldryon se leva. Le repoussa. Cesser les études. La magie. Ce dont il était fait. Quelque chose en lui ne pourrait pas s'en passer. Il le savait. Il était un mage. C'était sa nature profonde. Abandonner la magie revenait à le tuer. Alors, il tenta de l'expliquer. De le faire comprendre à son père, têtu. La magie n'est pas bonne ou mauvaise ! Et Thalan haussa le ton à son tour. Assura que ce qui allait contre la volonté de Dieu était nécessairement mauvais ! Et bientôt, leurs éclats grondèrent dans toute la maison. Thalan toussait beaucoup. Sa voix peinait à surmonter celle encore juvénile de son fils. Alors, Rose pénétra dans la chambre pour calmer père et fils. Silence. Kel'Eldryon se tut. Thalan crachotait et se raclait bruyamment la gorge. Sa respiration était comme un ronflement.
«
Alors, c'était vrai... Ils m'ont réellement pris mon fils... » Il se tourna pour tousser et Rose vint accourir à son chevet. Il la repoussa. Son état empirait. «
J'ignore qui vous êtes, monsieur. Mais vous n'êtes pas mon Kel'Eldryon. Et si vous continuez à usurper l'identité de mon fils, j'en appellerai au Courroux des Pacificateurs... Rose... Raccompagne cet étranger dehors. »
Rose tenta de s'y opposer, avec son habituelle douceur. Mais Thalan ne voulut rien entendre. Elle obéit et descendit silencieusement les marches avec l'enfant qu'elle avait en partie élevé.
«
Ne sois pas idiot, Kel'. La magie ne t'apportera rien de bon... Elle est impie. Et au fond de toi, tu le sais.
- Elle n'est pas impie. Elle est naturelle ! C'est elle qui dicte les loin métaphysiques de ce monde ! Et il n'y a vraiment que les Inquisiteurs pour se le cacher !
- Ne sois pas blasphémateur, Kel'...
- De quel blasphème parle-t-on ?! J'ai toujours accepté les idées de ses croyances ascètes ! La magie est en moi ! Que je le renie ou non ! Si mon père n'accepte pas la magie, alors il ne m'accepte pas... Je ne peux pas vivre une vie entière de mensonge sous prétexte que son esprit étriqué n'est pas capable d'agréer quelque chose qu'il ne comprend pas ! Au Diable l'Inquisition !
- Kel' ! Ca suffit ! »
Rose le gifla. Silence. Le jeune apprenti baissa la tête.
«
Je suis désolé... Je... Ce n'était pas ce que je...
- Tais-toi. Tu as assez fait de mal. Tu avais une famille aimante. Un toit sur la tête. Une vie pieuse. Et tu as tout renié pour tes ambitions malsaines. Tu as tout détruit. Et maintenant, tu es revenu pour cracher ta haine contre Dieu dans la maison de tes ancêtres. Tu étais comme un fils, pour moi. Mais je ne te reconnais plus. Tu n'es plus le Kel'Eldryon que nous avions connu...
- J'ai évolué. J'ai ouvert les yeux sur le monde. C'est tout.
- Qui essaies-tu de convaincre ? Toi ou moi... ? Tu t'es laissé aveugler par ta prétention et ton orgueil. Ne me verse pas les mensonges que tu as réussi à avaler pour justifier ta lâcheté et ton manquement à tes devoirs de fils. Ton père est gravement malade et tu n'hésites pas à l'affaiblir encore plus pour le forcer à te donner une bénédiction que tu n'auras jamais. »
Kel'Eldryon se tut. Rose soupira, incapable de le chasser. L'image de cet enfant qu'elle avait vu grandir ne cessait de la hanter. Mais par respect pour son époux, elle ne pouvait pas le laisser revenir.
«
Tu dormiras dans le salon, ce soir. Et demain matin, je veux que tu quittes cette maison, dès l'aube. Tu n'apporteras que des ennuis à ce foyer. »
Kel'Eldryon acquiesça. Silencieux. Et durant la soirée, ils ne se regardèrent pas. Kel'Eldryon tenta de demander des nouvelles d'Armand mais Rose répondait brièvement pour mettre un terme rapide à leurs échanges. Avant le repas, Rose alla déposer la part de Thalan dans sa chambre. Elle hurla.
Thalan, faible et épuisé, satisfait d'avoir enfin pu constater que son fils était en vie, avait quitté ce monde. Quelque part, sans doute serait-il encore en vie si Kel'Eldryon n'avait pas gaspillé les dernières forces de son père pour de telles futilités.
Rose chassa Kel'Eldryon avec un couteau à la main. Le traitant de tous les noms. Invoquant Dieu pour le maudire. Appelant de l'aide et du secours. La garde pour que l'on chasse ce meurtrier. Kel'Eldryon revint auprès de son maître sans lui expliquer ce qu'il s'était passé. Radaman n'en demanda guère d'avantage. Le jeune apprenti décida de retourner à Julatsa. Son père était mort. Il n'avait aucune information sur sa mère. Rose et Armand le désireraient voir mort. Kel'Eldryon n'avait plus que son maître. Les Cité Collégiales. Ses ravisseurs.
Son deuil, il le pratiqua silencieusement. Dans le secret. Kel'Eldryon avait tué son propre père et n'était pas légitime pour le pleurer. Néanmoins, il envoya de l'argent à Rose pour les funérailles de Thalan. Kel'Eldryon se sentait comme un étranger partout.