La colère fait vibrer la voix de son interlocutrice et cela fait hausser d'indignation les sourcils de l'elfe. Elle qui essayait d'être agréable n'a réussi à se faire qu'alpaguer ! Elle semble pouvoir dire adieu au repos tant mérité et frotte ses yeux pour se préparer à la joute verbale avec l'elfe aux cheveux d'or. Tourne sept fois la langue dans ta bouche ou tu regretteras les flammes qui en sortiront se répéta-t-elle mentalement. Toutefois, les propos de l'elfe hérissent les poils de l'expatriée. Pourquoi ne pourrait-elle point utiliser sa langue maternelle en présence d'une autre de ses compatriotes ?
<< - Cette langue est la nôtre et je crains de ne l'entendre peu souvent dans les jours qui suivent de ce côté-ci de la côte. >>
Elle incline légèrement la tête, sa capuche glissant dans son dos et révélant ses longs cheveux asséchés par l'air marin. Elle a l'air d'une gueuse prête à détrousser d'honnêtes citoyens face à Ciryial dont l'étoffe de la cape semble neuve et ne présente aucuns plis. Ce qui n'est point étonnant lorsqu'on sait qu'elle est la fille du gouverneur elfique représentant l'intérêt des elfes sur le continent. Elle frisonne légèrement de peur bien qu'elle s'efforce de le cacher en se redressant de toute sa hauteur. L'épée battant sa hanche la rassure bien qu'elle s'efforce de ne pas approcher sa main de celle-ci pour ne pas effrayer l'elfe en face d'elle. Elle ne voudrait pas que cette discussion se transforme en une arrestation en bonne et due forme.
<< - Elen sila lumenna yomenielmo !(Une étoile brille sur l'instant de notre rencontre/Enchanté) Ciryial Nel Llyüwen, je suis désolée de vous avoir effrayé. Je suis une simple voyageuse qui a cherché le repos après un  dur voyage dans un buisson faute de mieux. Appelez-moi Wyn, c'est ainsi que l'on m'appelle en général. >>

L'elfe hésite en donnant le surnom que lui donnait son grand-père. Elle chérit ce surnom qui est trop évident pour quelqu'un appartenant au cercle intime de la famille mais qui est dénué de sens pour des inconnus. Elle sait que c'est insuffisant voire impoli de ne donner qu'un pseudonyme alors que son interlocutrice lui a déclamé son nom complet comme les coutumes elfiques le préconisent. Toutefois, son nom serait forcément évocateur pour elle et elle l'amenerait sans hésiter à son père pour être renvoyé à Calaïus car Ranwyn a dû envoyer des missives dignes d'un père éploré d'avoir perdu sa fille qui a fui vers le continent sans raisons valables. Elle baisse la tête face au regard inquisiteur de l'elfe. Elle laisse échapper alors dans un souffle presque inaudible
<<- Amin ulerta (Je ne peux pas)>>

Et l'elfe si fière se voûte tandis que le masque tranquille se craquelle sous la pression. Tout est désormais entre les mains de Ciryial, d'une inconnue dont elle ne reconnaît la filiation que par les cours qu'elle a reçu sur la noblesse elfique.

L'instant délicat de paix se brise comme du verre lorsque le surnom à demi-soufflé réveille la méfiance de Ciryial. Pourtant, ce n'est pas vraiment une fausse information. Ce surnom est la simple contraction de son prénom et est le souvenir de jours plus heureux en compagnie de son grand-père. L'elfe aux cheveux blancs ne semblent donc pas se souvenir des Aënor comportant 2 membres dont le prénom se termine en wyn. Les questions de cette dernière sont d'autant de couteaux plantés dans la chair de la brune. Elle aimerait pouvoir être fier de son héritage, dire qu'elle a fui un père qui l'a déçu et qu'elle vient directement de leur île dont la fille du gouverneur semble être si nostalgique. Oui, l'elfe aimerait pouvoir croire en sa comparse.  

Toutefois, la fille du gouverneur semble être prompte à attaquer sur les apparences. Pourtant, l'habit ne fait pas l'arbre. La noble en fuite sent son sang commencer à bouillir, ses ongles griffent sa paume tant ses poings sont serrés. Elle n'a fait défaut à son peuple et à son rang qu'une seule et unique fois. Et ce sera sans doute la dernière fois. Parfois, il faut faire passer son intérêt personnel au-dessus de celui des autres. Il faut soulever le voile des conventions pour découvrir une nouvelle façon de vivre.
<< - Vous n'avez pas à juger si je suis assez bien pour notre peuple ou pas.>> commence-t-elle à dire alors que Ciryial la coupe pour s'excuser de la dureté de ses propos.

Une semaine difficile ? Vanwyn veut bien la croire, elle a vu sa vie changer complètement en moins de temps. Cependant la comparaison serait malvenue car chacun à ses épreuves et minimiser celle de l'autre sous prétexte qu'on a vécu pire est de l'ordre de l'égoïsme pur et dur.

<< - Je comprends Ciryial, à vrai dire ces derniers jours n'ont pas été faciles pour moi non plus. >>

Et ils ne vont pas aller à en s'améliorant pensa-t-elle tout bas. Elle n'a aucun foyer et devra se contenter de sillonner les routes tout en évitant les soldats de son père, de chasser pour manger et de travailler pour payer son lit lorsque l'hiver viendra. Ainsi, si elle accepte l'offre de Ciryial, cela sera sans doute la dernière fois qu'elle goûtera un tel confort. Un léger sourire éclot à cette ironie du sort : elle aurait pu être récupérée par un paysan ou un marin mais il semble que Eiyna veille sur elle. Et Ciryial semble déterminée à ne pas la laisser là. A la dernière phrase de l'elfe, Vanwyn hausse un sourcil :

<< - Les elfes sont-ils mal vu dans le reste du royaume ? >> demanda-t-elle d'une voix radoucie

Son père lui avait rapporté d'étranges nouvelles sur les exactions des humains envers les mages. Il lui a dit que les humains ont cessé de vénérer les arbres. Elle ignorait que les elfes étaient eux aussi concernés.

<< - Mais soit, je vous suis >>

Elle tendit son bras vers l'elfe attendant que celle-ci lui saisisse le poignet en une étreinte qui scelle une paix provisoire. C'est un salut militaire mais que tous les nobles connaissent.